Le chitosane, la formule magique d’une micro-fabrication plus verte
Face aux besoins grandissants de la micro-électronique, le secteur de la micro-fabrication, dépendant de produits pétrosourcés, cherche à se transformer. À Lyon, des laboratoires ont peut-être trouvé la bonne formule avec le chitosane, un bio-matériau aux propriétés étonnantes.
En 2022, l’ampleur de la crise des semi-conducteurs rappelait à quel point ces composants électroniques occupent une place centrale dans l’industrie mondiale. Véritables cerveaux de nos machines, ils sont présents dans nos téléphones, nos ordinateurs, nos écrans, nos véhicules, nos panneaux solaires. Leur demande ne fait qu’augmenter, tirée par le déploiement de l’IA ou les besoins du secteur automobile, si bien que nombre d’observateurs voient dans les semi-conduteurs le « pétrole du XXIe siècle ».
Or justement, la fabrication des semi-conducteurs repose en grande partie sur des procédés dépendants de l’or noir. C’est le cas de la lithographie, un procédé clé en nanotechnologie permettant de structurer la matière pour y inscrire des motifs microscopiques. Leur support, des résines photosensibles, sont pour la plupart d’origine pétrosourcée. De plus, leur utilisation se couple avec des solvants organiques et d’autres produits de développements connus pour leur impact sur la santé humaine et l’environnement.
Afin d’aller vers des procédés plus écoresponsables, des chercheurs se tournent depuis quelques années vers des procédés plus verts. Après une dizaine d’années de recherche, les scientifiques ont identifié un matériau qui semble présenter toutes les caractéristiques pour réduire l’impact environnemental de la micro-fabrication : le chitosane.
Le chitosane, un biopolymère « magique »
Ce composé chimique de la famille des polysaccharides – comme l’amidon ou la cellulose – est obtenu par un procédé chimique (désacétylation) de la chitine. Cette dernière se trouve dans la carapace des crustacés et des insectes, dans les parois cellulaires des champignons, en faisant le deuxième biopolymère le plus abondant sur Terre après la cellulose. Aujourd’hui, le chitosane est produit principalement à partir de déchets issus de l’industrie agro-alimentaire.
Au laboratoire Ingénierie des Matériaux Polymères (IMP), des chercheurs étudient depuis plusieurs années les propriétés physico-chimiques et biologiques remarquables du chitosane. Biodégradable et biocompatible, doté de propriétés antifongiques et anti-bactériennes, il peut se formuler sous forme de poudre, de film, de gel, de fibre, en plus d’être soluble dans l’eau.
« C’est un peu un matériau magique », confie Stéphane Trombotto, Maitre de Conférences UCBL au Laboratoire IMP et spécialiste du chitosane. Mais derrière cette formule magique se cache en réalité toute une ingénierie en chimie.
Ce qui rend ce bio-polymère aussi polyvalent, c’est la possibilité de moduler deux paramètres chimiques, la masse molaire et le degré d’acétylation. En les ajustant, les scientifiques peuvent exploiter différentes propriétés physico-chimiques et biologiques du chitosane.
« C’est tout un travail de design du chitosane, avec des compétences en ingénierie du chitosane, en ingénierie de formulation, qui nous permet d’exploiter tout son panel de caractéristiques », poursuit Stéphane Trombotto.
Rien d’étonnant alors à ce que de nombreux domaines industriels cherchent à exploiter ce bio-matériau : de la régénération des tissus dans le traitement des brulures de la peau, au domaine papetier pour la fixation de colorants, en agriculture comme traitement des cultures, comme colle biomédicale ou encore comme vecteur de principe actif.
Des solutions plus écoresponsables
À Lyon, des chercheurs exploitent le chitosane pour mettre au point de nouveaux procédés de micro-fabrication. Morgane Zimmer, en thèse à l’Institut des Nanotechnologies de Lyon, a ainsi développé des laboratoires sur puce biodégradables. Ces derniers, bien souvent à usage unique, sont traditionnellement faits de plastiques pétrosourcés. Leur traitement en fin de vie peut s’avérer complexe, notamment en présence de contaminants biologiques. Avec ce nouveau procédé, les chercheurs « ont pu démontrer les bonnes propriétés du chitosane pour nos microcanaux, et leur compatibilité avec des cellules pour des analyses biologiques », expose la doctorante.
Des chercheurs lyonnais sont également impliqués dans un projet de résines bio-sourcées pour la lithographie micro-électronique. « On avait besoin pour la lithographie d’un bio-matériau biodégradable, soluble dans l’eau et doté de propriétés filmogènes pour le formuler sous forme de film mince. Et on a retrouvé toutes ces propriétés dans le chitosane », explique Yann Chevolot, directeur de recherche CNRS à l’INL. Après un premier financement national (projet ANR Lithogreen) ayant fait la preuve de concept du potentiel du chitosane pour la lithographie verte, le projet s’est structuré au niveau européen dans le cadre du projet Resin Green, et dans lequel sont impliqués l’INL, l’ISA et l’IMP à Lyon, mais aussi l’IS2M à Mulhouse .
« Le consortium lyonnais a été précurseur sur cette thématique », pointe le chercheur. Aujourd’hui, le CEA de Grenoble a démontré que cette résine verte était compatible avec leur chaine pilote pré-industrielle et exploitable par plusieurs techniques de lithographie classique. Une étude récente menée à l’échelle de laboratoire a montré que l’utilisation du chitosane comme résine de lithographie pourrait réduire l’impact environnemental des procédés de micro-fabrication de près de 50%1.
Les verrous restent nombreux pointent les chercheurs, et cela fait partie des objectifs du projet européen de tâcher de les lever, mais ces recherches contribuent indéniablement à transformer le secteur de la micro-fabrication pour aller vers des procédés davantage éco-responsables.
[ Un article Sciences pour tous ]
2. Servin, I., Teolis, A., Bazin, A., Sarrazin, A., Durin, P., Sysova, O., … & Trombotto, S. (2023, April). Chitosan as a water-based photoresist for DUV lithography. In Advances in Patterning Materials and Processes XL (Vol. 12498, pp. 227-238). SPIE.
En savoir plus sur le projet Litho green
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Les laboratoires
Laboratoire Ingénierie des Matériaux Polymères (IMP - CNRS/INSA Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1/Université Jean Monnet St Etienne)
Institut des nanotechnlogies de Lyon (CNRS/CPE LYON/Ecole centrale Lyon/INSA Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1)
Institut des sciences analytiques (ISA - CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1)