Salim Si-Mohamed : l’imagerie spectrale colorise les maladies pulmonaires
Salim Si-Mohamed, enseignant-chercheur de l’Université Claude Bernard Lyon 1 au Centre de Recherche en Acquisition et Traitement de l'Image pour la Santé (CREATIS) et médecin radiologue aux Hospices civils de Lyon (HCL), a obtenu une bourse européenne ERC Starting Grant. Une étape de plus vers la transformation de l’imagerie médicale pour les maladies pulmonaires.
En salle d’attente à l’hôpital Louis Pradel (HCL), Salim Si-Mohamed, chef de l’unité fonctionnelle d’Imagerie cardiovasculaire et thoracique, accueille Alain (le nom a été changé par soucis d’anonymat). Ce dernier est traité pour une pneumopathie interstitielle diffuse. « Aujourd’hui, vous allez passer dans le scanner du futur », lui annonce le médecin.
En tant que médecin radiologue, Salim Si-Mohamed examine quotidiennement des patients atteints de maladies du poumon. Scanners, ponctions, analyses radio font partie de son quotidien aux Hospices civils de Lyon. Mais cette activité clinique n’occupe qu’une partie de ses journées déjà bien remplies. Il mène également une activité de recherche au sein du Centre de Recherche en Acquisition et Traitement de l'Image pour la Santé (CREATIS), où il travaille sur un prototype de scanner unique au monde, en phase de révolutionner le domaine de l’imagerie médicale : le scanner spectral à comptage photonique (SPCCT). C’est vers ce scanner que deux attachés de recherche clinique (ARC) conduisent Alain, patient volontaire de cette étude de recherche.
Pour Salim Si-Mohamed, l’enjeu est clair : faire de ce nouveau scanner le « fer de lance » de l’imagerie pulmonaire pour améliorer le diagnostic, le traitement et augmenter la survie des patients atteins de maladies du poumon.
Les maladies du poumon
Les maladies du poumon constituent la troisième cause de décès dans le monde. Avec en ligne de mire cinq maladies identifiées par l’OMS (les « big five ») : l’asthme, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), la pneumonie, la tuberculose et le cancer du poumon. À cela s’ajoutent d’autres maladies, et non des moindres, comme la fibrose pulmonaire. Au total, ces maladies sont responsables de près de 7,6 millions de décès par an dans le monde.
Pour les médecins, le diagnostic est un élément clé pour lutter contre la mortalité des maladies pulmonaires. Mais aujourd’hui celui-ci repose sur de nombreuses modalités d’analyses invasives et non-invasives, car le poumon se révèle être extrêmement complexe. « Il s’agit d’un organe passionnant qui associe des processus physiopathologiques propres à sa ventilation et sa perfusion, et des interactions complexes avec des phénomènes d’inflammation », explique ce médecin radiologue.
En théorie, un bon diagnostic des maladies du poumon doit pouvoir analyser ces différents aspects. Mais actuellement, qu’il s’agisse du scanner, de l'échographie, de l’IRM, de l'imagerie nucléaire, aucune de ces modalités d’imagerie n’est capable de fournir une vue complète de l’état du poumon des patient. Il en résulte un parcours de soin long et complexe pour ces derniers, avec des rendez-vous dans de multiples services et parfois des difficultés d’accès aux modalités d’imagerie, retardant le diagnostic. Cette situation impacte significativement la survie des patients, rappelle Salim Si-Mohamed. « Lorsqu’on détecte un cancer, en un mois sa taille peut avoir déjà doublée aggravant la survie du patient ».
Une nouvelle modalité d’imagerie
« Proposer une modalité d’imagerie qui, en une seule respiration, réaliserait une analyse morphologique et fonctionnelle des maladies cardiovasculaires et thoraciques en combinaison avec de nouveaux traceurs dédiés ». C’est tout l’enjeu de la recherche translationnelle en imagerie spectrale que poursuit Salim Si-Mohamed depuis son arrivée à Lyon en 2015. Initié par Philippe Douek au laboratoire CREATIS en partenariat avec Philips dans le cadre du programme européen H20/20, le prototype de SPCCT actuellement installé au CERMEP, plateforme d'imagerie du vivant, est unique au monde. Résultat d’un modèle pionnier de développement entre l’entreprise Philips, l’Université Claude Bernard Lyon 1 et les Hospices civils de Lyon, cela a déjà permis de nombreux résultats prometteurs.
Ainsi, grâce au scanner spectral, l’équipe du Dr. Si-Mohamed avait démontré pendant la pandémie Covid-19 pourquoi certains patients en situation critique ne se satisfaisaient pas de l’oxygène, en révélant des anomalies de la ventilation combinées à celles de la perfusion (l’oxygène ne passait pas dans le sang).
En pratique, ce nouveau scanner spectral a les avantages d’un scanner standard – qui reste la modalité d’imagerie la plus utilisée – plus de 375 millions de scanner, dont 80 millions dédiés aux maladies pulmonaires, réalisés dans le monde chaque année –, mais en repousse les limites, passant de l’imagerie médicale en noir et blanc à l’imagerie couleur, en combinaison avec le développement de nouveaux traceurs.
Comparaison entre un scanner des poumons réalisé avec un scanner classique (à gauche) et un scanner à comptage spectral (à droite). Le scanner SPCCT offre ainsi la possibilité d'une imagerie fonctionnelle des poumons. © Salim Si-Mohamed
Cette modalité bouleverse déjà l’évaluation morphologique des pathologies cardiovasculaires et thoraciques, mais le chercheur espère également faire évoluer les traitements grâce à l’approche fonctionnelle. « Aujourd’hui, on donne des médicaments sur des facteurs de risques, et non sur une analyse morphologique et fonctionnelle précise des maladies cardiovasculaires et pulmonaires », analyse Salim Si-Mohamed. En analysant de manière combinée ces informations pour chaque patient, l’imagerie spectrale ouvre la voie à une médecine personnalisée des maladies pulmonaires pour un diagnostic précoce et précis, un traitement efficace, mais aussi une prévention des rechutes.
Un héritage de l’imagerie médicale tourné vers l’avenir
Aujourd’hui, les développements technologiques et méthodologiques du scanner spectral sont bien avancés. Il s’agit maintenant de le rendre compatible avec une utilisation clinique régulière tout en repoussant les connaissances en imagerie des maladies pulmonaires, affirme le chercheur.
C’est dans cette optique que Salim Si-Mohamed a obtenu une bourse européenne « ERC Starting Grant » afin de mener ce projet à terme.
À 37 ans, ce jeune chercheur et médecin passionné reste réaliste sur le chemin parcouru et ce qu’il reste à faire et « s’inscrit dans une continuité à Lyon, et notamment à CREATIS, de recherche et d’innovation en imagerie médicale, initiée par M. Amiel, qui a participé à la création du laboratoire ». Puis, à la suite, de Didier Revel, qui a introduit en France l'imagerie cardiaque en IRM et de Philippe Douek, pionnier de l’imagerie vasculaire, c’est bien une vision de l’imagerie médicale de demain que leur successeur, installé dans le bureau de ses prédécesseurs et qui porte la marque de cet héritage, semble dessiner.
Projet ERC "KOLOR SPCCT Imaging"
Porté par Salim Si-Mohamed, ce projet a pour but de colorier les maladies pulmonaires. Ce projet inter-disciplinaire et translationnel vise à mettre en œuvre le scanner SPCCT en combinaison avec de nouveaux traceurs de laboratoires issus de l'UCBL (ENS, LAGEPP, ILM) mais aussi de start-up (NHTherAguix) et université outre-Atlantique (UPenn) pour cibler spécifiquement le diagnostic et le pronostic de l’embolie pulmonaire, du cancer et de la fibrose. En introduisant ces nouveaux traceurs, le projet permettra une évaluation précoce et précise de ces maladies en une seule respiration. Avec la possibilité de diffuser son utilisation à d’autres maladies pulmonaires, l’imagerie spectrale annonce une nouvelle ère de médecine personnalisée pour améliorer la survie des patients.
Salim Si-Mohamed est responsable de l’Unité fonctionnelle d’imagerie cardiovasculaire et thoracique au sein du Service d'imagerie médicale.